Le secret du silence
  Mireille
 
Elle pleurait. Les mains dans le dos, crispées sur la barre transversale, à la hauteur de sa poitrine, perdue dans ses pensées, Mireille laissait couler librement les larmes qui captaient les derniers rayons du soleil mourant de fin d'après-midi.

Ses yeux verts rougis par les pleurs qui la secouaient depuis si longtemps se posaient sur l'écume d'un blanc éclatant, résultat du courant violent qui frappait de plein fouet les nombreux rochers à demi submergés quelques 30 mètres plus bas.

Dans son esprit embrouillé par la douleur qui avait envahi tout son être, seule la mort semblait une alternative acceptable.

Les policiers avaient fermé le pont à la circulation, et, à une distance respectable d'elle, ils tentaient de détourner son attention de l'hypnotisante écume sur les rochers aux contours acérés, meurtriers.

Que disaient-ils, ces policiers? Lui envoyer de l'aide? Un psy? Comment un psychologue pourrait-il l'aider à oublier une vie inutile, pleine de déceptions et d'abandons? Mireille se dit qu'elle ne voulait que mourir, pas se donner en spectacle!

Une équipe de journaliste la filmait sans se donner la peine d'être discrets, faisant de gros plans sur son visage grave, résolu aux joues luisantes de larmes, sur ses yeux rougis par les pleurs, baissés comme en prière vers les rochers miséricordieux qui abrégeraient ses souffrances.

Comment expliquer à tous ces bureaucrates, enlisés dans la quiétude de leurs habitudes et dans le pouvoir de leur société boiteuse, la douleur de vivre, la peine incontrôlable qui ronge chaque parcelle du corps comme un acide circulant dans les veines?

Certes, sa douleur pouvait sembler bénigne comparée à celle d'autres personnes, mais IL l'avait abandonnée, il avait osé partir alors qu'elle avait besoin de lui plus que jamais. Il s'était éloigné d'elle en lui soufflant un baiser, un sourire tendre sur les lèvres, ces lèvres qu'elle avait si souvent embrassées.

Et par la faute d'un chauffard ivre, il était parti, parti à jamais, parti pour tout le monde, et elle restait sur cette terre invivable, avec en elle l'enfant de cet homme qu'elle avait aimé à en mourir. À en mourir, c'était le cas, car après un deuil cuisant de souvenirs perdus, elle s'apprêtait à le rejoindre.

Sa vie entière n'avait été qu'échecs et douleurs, faux espoirs et promesses en l'air, la seule exception fut cet amour passionné, et une société pourrie trop clémente envers les criminels lui avait volé son seul bonheur.

Le chauffard, un récidiviste, s'en était tiré avec une légère sentence, à purger dans la collectivité, son avocat ayant trop bien manoeuvré. Les criminels rient et les innocents pleurent, se dit Mireille.

Terrassée par le poids de ces souvenirs malheureux, devant les yeux abrutis de télévision de centaines de personnes, en direct à l'écran, Mireille desserra ses mains moites de sueur de la barre métallique qu'elle tenait de dos, tendit les bras de chaque côté, bien à l'horizontale et se laissa tomber, tête première, vers les rochers noirs, vers la rivière écumante.

Une fraction de seconde suffit à la précipiter dans les bras de la mort.

Dans des centaines de télévisions, l'image fut coupée, remplacée par celle des divers présentateurs de nouvelles, clamant leur peine pour cette pauvre fille. Les regards se voilèrent quelque peu, les gens réfléchissaient, pour une rare fois, tous les témoins de cette mort s'interrogèrent sur leur société. Certains pensèrent qu'elle avait peut-être pu faire avancer les choses ...
Mais rien n'allait changer...
Bien vite on l'oublierait ...
Comme tant d'autres ... 

Écrit et composé par Carmilla
http://www.lapassiondespoemes.com/?action=viewpost&cat=12&ID=140&majeur

Voici un texte qui m'a particulièrement touché par sa profondeur et le sujet dont il traite.
 
   
 
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